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dimanche 27 septembre 2015

Enquête censurée par Canal + : le réalisateur nous raconte ce qui fait peur au Crédit mutuel

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Enquête censurée par Canal + : le réalisateur nous raconte ce qui fait peur au Crédit mutuel




Des valises de billets, des lanceurs d'alerte licenciés… Déprogrammé par Vincent Bolloré, “Evasion fiscale : enquête sur le Crédit mutuel” sera finalement diffusé sur France 3. Le film apporte des pièces essentielles à une affaire toujours en cours.
Depuis 2013, le Crédit mutuel-CIC est dans le viseur de la justice pour « démarchage illicite et blanchiment de fraude fiscale aggravée ». Au cœur de cette affaire, déjà comparée au scandale UBS, des soupçons d'évasion fiscale à l'échelle nationale, orchestrée via la banque Pasche, filiale à 100% du Crédit mutuel. Révélée, au départ, par trois salariés isolés, l'existence de ce système supposé frauduleux est décortiqué dans l'enquête « Evasion fiscale, enquête sur le Crédit mutuel ». Après avoir été déprogrammé sur Canal+ par Vincent Bolloré, le film sera finalement diffusé le 7 octobre dans le magazine Pièces à Convictions sur France 3. 
Le journaliste Geoffrey Livorsi (coréalisateur avec Nicolas Vescovacci ) suit l'affaire depuis 2014 pour Mediapart. Il commente pour nous les révélations très troublantes de ce film,  et revient sur la genèse de l'affaire.
Il a fallu l’action de trois lanceurs d’alerte – des gestionnaires de comptes de la banque Pasche Monaco – pour qu’éclate l’affaire. Comment les choses se sont-elles passées ?
Ces trois salariés ont voulu, en 2013, dénoncer des mouvements de comptes douteux, et des pratiques dont ils ont été directement témoins. Ayant accès au réseau informatique, ils ont observé des opérations de transfert de fonds vers des comptes offshore. Surtout, ils voyaient régulièrement des client débarquer à l’agence de Monaco pour déposer des mallettes d’argent liquide – l’un d’entre eux est même venu, après l’heure de la fermeture, poser 500 000 euros sur le comptoir. Normalement, les dépôts en cash doivent faire l’objet d’une déclaration de soupçon, or, rien de tel ne se passait au sein de la banque. Les trois gestionnaires de compte ont été effrayés par ces pratiques, auxquelles il ne voulaient pas être associés.
Au départ, ils ont respecté l’ordre hiérarchique en prévenant la direction de Monaco, puis le siège à Genève. Voyant que personne n’agissait, ils ont décidé d’alerter la direction centrale à Paris. Leur avocate, reçue par le directeur juridique du groupe CM-CIC, a fourni à la banque une série de documents faisant état d’opérations suspectes. Il semblerait que Michel Lucas (le président du Crédit mutuel) ait assisté à une partie de l’entretien, un peu en retrait. Il est reparti sans un mot. L’avocate et la direction de la banque se sont quittés sans promesse. Et ça s’est très mal passé après pour les lanceurs d’alerte. La direction les a accusés de vouloir faire du chantage. Ils ont fini par être licenciés, l’un pour faute grave et les deux autres, soit disant pour licenciement économique. Aujourd’hui, ils sont toujours en procès.
Ils n’ont donc pas découvert tout de suite l’ampleur du système ?
Au début, leurs soupçons ne concernaient que la Pasche Monaco. Lorsque je les ai rencontrés pour la première fois, il y a un an et demi, ils n’accusaient pas du tout le Crédit mutuel. Mais après avoir alerté le sommet de la pyramide, ils ont découvert que la direction nationale du Crédit mutuel semblait avoir une très bonne connaissance de ce qui se passait.
A partir de quel moment la justice s’est-elle emparée du dossier ?
Après leur licenciement, les trois salariés ont eu peur – au cas où ces pratiques soient découvertes – que la banque ne leur mette sur le dos. Ils ont alors décidé de se rendre à police de Monaco pour une dénonciation. Ils ont fourni des éléments assez précis et, à partir de là, le procureur a décidé d’ouvrir une enquête judiciaire. Celle-ci progresse très lentement, même s’il y a eu des gardes à vue et des mises en examen. Depuis, les trois lanceurs d’alerte se sont également rendus compte que des montages fiscaux auraient été organisés entre la France, Monaco et Genève, pour des résidents français. Leur avocate a donc informé le Parquet national financier de l’existence de tout un système d’évasion fiscale présumé, et le parquet a ouvert une nouvelle enquête.
Il semblerait que depuis 2013, les liens entre le groupe Crédit mutuel et la banque Pasche se soient distendus, du moins en apparence.
Les lanceurs d’alerte ont été licenciés en juin 2013, et dès novembre 2013 la branche monégasque de la banque Pasche a été vendue à la société Havilland. Depuis cette date, la Pasche se sépare presque chaque mois de filiales dans le monde. Aujourd’hui seul subsiste le siège suisse, qui appartient toujours au Crédit mutuel. Avant cette affaire, le logo CN-CIC private banking apparaissait sur le site de la Pasche. Depuis, le site a été refait, et le logo a disparu…
Pourquoi décider d’enquêter maintenant, de faire le documentaire là maintenant, alors que l’affaire est sortie il y a déjà deux ans ?
C’est en février 2015 que le Parquet national financier a ouvert une procédure pour « blanchiment de fraude fiscale et démarchage illicite », et nommé trois juges – les mêmes que dans les affaires UBS et HSBC. J’avais couvert cette grosse actualité pour Mediapart. Jean Pierre Canet, rédacteur en chef de KM productions m’a appelé à ce moment-là pour un projet de film. Nous nous sommes alors associés (ainsi qu’avec Nicolas Vescovacci, le coréalisateur) pour faire un film. Comme je travaillais depuis un an et demi sur ce dossier pour Mediapart,  je pouvais apporter des éléments nouveaux.
Justement quels éléments nouveaux apporte le film ?
En premier lieu, les lanceurs d’alerte s’expriment pour la première fois à visage découvert. Concernant la filiale monégasque du Crédit mutuel, le film propose un enregistrement inédit du directeur de la banque, Jürg Schmid. Surtout, le film décrit la manière dont le Crédit mutuel aurait utilisé la banque Pasche pour mettre en place un système d’évasion fiscale présumé entre la France et la Suisse. Dans le documentaire, un ancien cadre du CIC explique ainsi que dès les années 2000, dans la région lyonnaise, il lui a été demandé d’orienter sa clientèle fortunée vers la banque Pasche. Une véritable stratégie a donc été développée à ce moment là. Le cadre du CIC évoque aussi un « système des mallettes » né également il y a une quinzaine d’années. Le principe : des clients se rendaient au siège lyonnais du CIC et y déposaient de l’argent en liquide, puis des intermédiaires se chargeaient de transporter cet argent vers la banque Pasche à Genève, en empruntant les petites routes de montagnes pour éviter les douanes. Selon notre source, ce système fonctionnait toujours au moment de son départ de la banque, en 2004. D’après nos informations, il perdurait encore en 2014, d’une manière plus sophistiquée : une partie de l’argent récupéré à travers toute la France était amené à une agence du CIC sur les Champs-Elysées à Paris. Argent qui, ensuite, était transféré par les comptes internes de la banque. Nous suspectons donc une double comptabilité, exactement comme cela s’était passé pour UBS... Le film évoque aussi le rôle d’un appartement, à côté de la gare de Lyon. Les clients y déposaient leur argent et leurs archives, et après, c’est un intermédiaire qui se chargeait de transporter l’argent jusque vers le CIC aux Champs-Elysées. Aujourd’hui, on est dans une informatisation totale du système. Il n’y a plus de transport en liquide vers la Suisse.
Une scène surréaliste révèle l’existence de carnets, dans lesquels les noms des clients apparaissent sous des pseudos d’écrivains célèbres, et les numéros de compte sous des titres d’ouvrages. Comment avez-vous récupéré ce document ?
L’histoire est incroyable ! Un jour, un chargé de clientèle de la Pasche se rend chez l’un de ses clients pour lui proposer, comme il le faisait souvent, des montages fiscaux. Par un concours de circonstance, l’employé de banque se cogne la tête violemment contre une fenêtre ouverte. Il tombe dans les pomme, est hospitalisé en urgence etc.. Dans la panique générale, le carnet tombe et finit sous un meuble. Le chargé de clientèle sort de l’hôpital et, peu de temps après, il quitte la banque sans avoir récupéré son carnet. Finalement, beaucoup plus tard, la femme de ménage retrouve le document, qui est alors entreposé sur une étagère pendant deux ans. Jusqu’à ce qu’un jour, au fil de notre enquête, nous finissions par tomber sur ce fameux client, qui nous confie le carnet, contenant la liste des pseudonymes. Tout ça est arrivé à la fin de notre tournage. Le film montre que le fichier est toujours actif.
Le documentaire a été déprogrammé sur Canal+ suite à un coup de fil du président du Crédit mutuel, Michel Lucas, grand ami de Vincent Bolloré. Vous attendez-vous à ce que la diffusion sur France 3 provoque des remous ?
C’est vrai qu'on a beaucoup parlé de Bolloré, mais il faut rappeler que derrière toute cette histoire, il y a aussi Michel Lucas, qui est à la tête d’un puissant groupe de presse régional (EBRA).  Je peux vous dire que la dépêche AFP sur la censure du film par Canal+ n’a été relayée dans aucun des journaux appartenant au Crédit mutuel (L'Est Républicain, Les Dernières Nouvelles d'Alsace, Le Progrès, Le Dauphiné Libéré…) ! Ni ce qui concerne le scandale bancaire en lui-même. En mars dernier, des articles sont apparus sur des sites collaboratifs de L’Express, de Ouest France, expliquant que la banque Pasche avait remporté son procès contre ses anciens employés. Ces articles n’étaient pas signés, mais remontaient très bien sur Google lorsqu’on tapait « Banque Pasch ». Suite à un dépôt de plainte de l’avocate des lanceurs d’alerte, le groupe Ouest France a retiré ces articles. Par ailleurs, en juin 2014, la banque Pasche nous avait envoyé une lettre disant qu’elle allait porter plainte pour diffamation si nous publiions nos informations dans Mediapart. Elle ne l’a finalement pas fait, mais il est clair que la situation est tendue..

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